L’Histoire que je m’apprête à vous raconter remonte à la Nuit des Temps.
A cette époque, la terre était recouverte de vastes
forêts sans fin, certaines étaient inextricables et les voyageurs égarés
retrouvaient rarement leur chemin.
En ces temps-là, les loups vivaient nombreux, ils formaient des clans très
hiérarchisés, intelligents, forts et courageux, ils n’avaient d’autres ennemis
que les hommes.
Les hommes quant à eux nourrissaient une haine
profonde envers les loups et lorsqu’ils se trouvaient face à face, il était
rare que tous deux survivent à cette rencontre.
A peine l’enfant des hommes marchait, qu’il avait appris à haïr le loup.
Chaque décennie écoulée, les loups, uniquement les chefs de clan et quelques
élus, entreprenaient le grand voyage. De toutes les régions du Nord de l’hémisphère,
ils convergeaient en un même lieu, une vaste clairière au centre d’une forêt
profonde et noire, quelque part dans un pays que l’on appellera plus tard la
France.
Certains venaient de très loin, c’était le grand rassemblement au cours
duquel les loups mâles et femelles encore solitaires allaient sceller une
nouvelle alliance, ils venaient là trouver le compagnon d’une vie.
Les chefs partageaient leur savoir et les jeunes bâtissaient leur descendance.
Cette année-là, Loupblanc, chef de clan encore solitaire venait pour y
trouver une compagne, chemin faisant il pensait au lourd secret qui était le
sien:
Quelques mois plus tôt, au cours d’une chasse, il avait découvert une jeune
femme évanouie dans la neige fraîche. Il s’était approché d’elle doucement,
avec méfiance comme on lui avait toujours appris, de longues minutes s’étaient
écoulées ainsi, quand soudainement la jeune femme bougea, elle entrouvrit les
yeux et loin d’être terrifiée par la vue du loup, elle lui sourit.
Elle tendit une main et caressa la fourrure de
l’animal, celui-ci accueillit cette marque d’affection d’abord avec surprise
puis bientôt avec plaisir. Sans savoir qu’il pouvait la comprendre, elle lui
expliqua sa peur lorsqu’elle s’était vue égarée dans la forêt, en entendant du
bruit, elle s’était mise à courir sans voir une grosse branche qui barrait le
chemin, elle avait trébuché lourdement et s’était évanouie.
Tout en lui parlant elle n’avait cessé de le caresser. Elle le regarda droit
dans les yeux et lui demanda de l’emmener jusqu’au village, seule dit-elle, je
ne retrouverai jamais ma route.
Loupblanc s’exécuta, il la reconduisit jusqu’à
l’entrée du village et longtemps il resta là, à la regarder partir, même
lorsqu’il ne pouvait plus la voir.
De retour dans la tanière du clan, il comprit qu’il ne serait plus jamais le
même, jamais plus il ne verrait les hommes de la même manière.
Il se prit même à revenir guetter l’entrée du village dans l’espoir de
l’apercevoir.
*****
A de nombreux kilomètres de là, une louve et son frère cheminaient au côté d’un
chef de clan, ils faisaient eux aussi route vers le grand rassemblement.
La louve Calypsone venait y faire alliance, elle l’espérait depuis longtemps
mais depuis l’été dernier, elle était habitée par la peur, son chemin avait
croisé celui d’un gentilhomme blessé, au lieu de le dénoncer à la meute comme
il se doit, elle l’avait caché, recouvert de feuilles et de branchages et
l’avait nourri jusqu’à ce qu’il puisse se
débrouiller seul.
L’homme n’avait jamais manifesté la moindre crainte face à la louve, au
contraire il aimait à lui parler, à la caresser, il lui faisait des confidences
comme il l’aurait fait à un de ses semblables. Il rêvait d’un monde où les
hommes et les loups feraient la paix, un monde où la haine de l’autre
n’existerai plus.
Un soir alors que Calypsone venait le retrouver, il était parti en laissant sur
le sol son écharpe, un peu de son odeur qu’elle prit plaisir à renifler.
Souvent, depuis lors, elle venait s’allonger au pied de l’arbre qui avait été
le témoin de leur amitié.
*****
La clairière sacrée était prête, tous les participants s’étaient rassemblés en
plusieurs cercles, au milieu se trouvaient les solitaires, il était de coutume
de s’observer et lorsqu’un loup mâle trouvait une louve à sa convenance, il
s’avançait au milieu du cercle, puis de là en rampant il se dirigeait vers
l’élue.
Ce soir sacré, lorsque Calypsone aperçu Loupblanc, elle reconnut immédiatement
le compagnon qui habitait ses rêves, celui qu’elle avait toujours attendu.
Aussi, bousculant toutes les règles, elle s’avança vers lui, sans crainte, le
regardant au fond de ses prunelles dorées.
Loupblanc, comme s’il avait toujours su ce qui allait
arriver, accepta Calypsone comme compagne sans se formaliser de la façon
cavalière qu’elle avait utilisée pour arriver à ses fins.
La nuit même leur union fût scellée. Le grand sage donna son accord après avoir
vérifié qu’ils n’appartenaient pas au même clan et que leurs deux statures
s’harmonisaient entre elles.
La louve fit ses adieux au clan qui l’avait vu grandir et se prépara au
voyage de retour. Leur périple fût sans histoire. Inconsciemment ou pas,
Loupblanc construisit leur gîte non loin de l’endroit où il avait découvert la
jeune femme l’hiver dernier.
Au printemps de l’année qui suivit, Calypsone donna naissance à deux
louveteaux, un mâle et une femelle. Avant de mettre bât, elle avait avoué à
Loupblanc le parjure qu’elle avait fait à sa race en cachant et en nourrissant
un humain. Loupblanc lui avait à son tour confié son secret et depuis lors ils
ne formaient plus qu’un.
Une nuit, ils furent réveillés par des cris qui les fit sortir de leur tanière,
ils aperçurent au loin une fumée épaisse, un incendie embrasait le ciel. Les
cris durèrent longtemps et au petit jour une odeur âcre parvint jusqu’à eux.
La magie des loups en ces temps-là était grande et leur haine des humains
encore plus grande, plusieurs clans s’étaient unis pour détruire un village qui
avait tué plusieurs des leurs. Ceux qui n’avaient pas péris dans l’incendie,
furent dévorés pas les loups.
Loupblanc rassembla sa compagne et ses petits et décida de s’éloigner à tout
jamais de ces contrées barbares, il voulait un monde différent pour sa
descendance.
Au même moment, un homme et une femme, seuls survivants du massacre fuyaient eux aussi l’horreur de la nuit.
La légende dit que la route des loups croisa celle des humains. Que
Loupblanc reconnu la jeune femme qu’il avait secouru de même que Calypsone
reconnu l’homme comme étant celui qu’elle avait caché dans les bois.
On dit aussi qu’ils firent chemin ensemble jusqu’à une grande clairière.
Uniquement avec leur courage, ils bâtirent un monde nouveau où tous ceux qui
vivaient sans haine furent les bienvenus. Les humains comme les loups…
Loup blanc fût à l’origine d’une nouvelle race de
loups, plus proche de l’homme et qui, bien des années plus tard, donnera
naissance à cette race de loup civilisée que l’on appellera Le Chien…